La philosophe Barbara Stiegler évoque l’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron, un homme « qui s’est rendu ivre de son pouvoir, jusqu’à plonger tout le pays dans une crise sans retour ».

Entretien par Hugo Boursier 

C’est depuis un lycée de Bordeaux, en direct d’un piquet de grève des surveillants du baccalauréat le lundi 20 mars, que la philosophe Barbara Stiegler répond à nos questions. Une implication dans le mouvement social qu’elle revendique. Pour elle, le meilleur moyen de comprendre « ce moment d’accélération historique », ce n’est pas de l’observer de loin ou de haut, mais d’y prendre part.

Ses derniers ouvrages : De la démocratie en pandémie, Gallimard (2021), Du cap aux grèves, Verdier (2020), Il faut s’adapter : sur un nouvel impératif politique, Gallimard (2019).

 

En refusant d’écouter la contestation sociale, quelle vision Emmanuel Macron a-t-il de la démocratie ?

Barbara Stiegler : Je ne pense pas qu’il ait de « vision », au sens où un homme d’État aurait une compréhension historique des événements. Il se comporte plutôt comme un joueur de casino, qui certes a fait de beaux coups (financiers, médiatiques, etc.), mais qui s’est finalement rendu ivre de son pouvoir, jusqu’à plonger tout le pays dans une crise sans retour.

Pour répondre à votre question, il faut donc regarder au-delà de l’individu Macron et de ses problèmes de personnalité, pour s’intéresser à ce qu’on pourrait appeler la « Macronie » : un nouveau continent mental, qui a triomphé avec l’imaginaire de la pandémie. En Macronie, la démocratie est remplacée par un régime électif où le peuple, parce qu’il est considéré comme irrationnel et incapable de se gouverner lui-même, doit se dessaisir (par les élections) de la totalité de son pouvoir.

Cette confusion entre démocratie et élection culmine dans les propos de Bruno Le Maire, le 20 mars dernier sur BFM TV, où il dit en substance : je suis un démocrate parce que j’ai été élu, je sais donc de quoi je parle, je connais le peuple. L’idéologie selon laquelle l’élection désignerait les meilleurs est ancienne. Elle a été élaborée par la théorie du gouvernement représentatif (à la fin du XVIIIe siècle), contre l’idée démocratique.

Dans ce contexte idéologique, qui est toujours le nôtre, l’élu ne peut pas faire partie du peuple. Le « peuple », c’est la masse des classes modestes, des gens non éduqués que les élus guident avec pédagogie. Or si nous étions dans une véritable démocratie, Bruno Le Maire aurait la surprise de découvrir qu’il fait lui-même partie du peuple ! Mais pour qu’une telle vision le saisisse, encore faudrait-il que nous puissions nous assembler tous ensemble et qu’il soit obligé de s’assembler avec nous.

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