Kai Terada est enseignant au lycée Joliot-Curie de Nanterre, il est militant chez Sud Education 92 et il a été suspendu juste avant la rentrée scolaire. Sans savoir pourquoi. Entretien.

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Regards. Tu es professeur de mathématiques et tu as été suspendu : qu’est-ce qui t’es reproché ?

Kai Terada. Effectivement, je suis enseignant au lycée Joliot-Curie de Nanterre depuis 2006, militant syndical à Sud Education 92 dont je suis co-secrétaire départemental et j’ai été suspendu par le rectorat de Versailles. L’année 2021-2022 a été assez difficile dans mon lycée, avec pas mal d’incidents et de tensions entre personnels et administration mais aussi entre personnels. En février, on a eu ce que l’on appelle un audit mais ce que l’administration appelle une inspection à 360°, c’est-à-dire que des inspecteurs de l’Education nationale viennent dans l’établissement pour auditionner des gens.

Par les échos que j’ai de mon syndicat, je sais que ce genre d’inspection peut déboucher sur des sanctions disciplinaires. Avec plusieurs collègues engagés dans l’établissement, on s’était dit que ce serait bien d’aller voir nos dossiers administratifs respectifs pour savoir si l’administration n’avait pas des choses à nous reprocher. Je suis donc allé voir, accompagné, mon dossier administratif le 30 juin dernier : mon dossier administratif était vide, rien notamment dans la partie discipline. Je me suis dit que, visiblement, l’administration n’avait rien à me reprocher. Mais au retour des vacances, le dimanche juste avant que les premiers cours commencent, je reçois dans ma boite-aux-lettres, un arrêté de suspension de 4 mois, c’est-à-dire que le rectorat de Versailles m’annonce que je suis suspendu de mes fonctions et que je ne fais plus partie de l’équipe enseignante du lycée Joliot-Curie.

Je conserve mon traitement en intégralité ce qui justifie pour eux que ce ne soit pas considéré comme une sanction disciplinaire : cela m’empêche d’avoir les garanties de défense que pourraient m’offrir une procédure disciplinaire normale avec, notamment, un contradictoire. C’est aussi pourquoi l’administration s’est permis de ne pas motiver la suspension. Je suis suspendu par l’Education nationale mais je ne sais pas pourquoi.

Peut-on parler d’une répression administrative des personnels enseignants engagés ?

Comme dans mon dossier administratif, il n’y avait strictement rien, je suis obligé de faire le lien entre ce qui m’arrive, mon activité syndicale et tous les cas de répression syndicale de ces dernières années : à Dole, à Bobigny, à Saint-Denis… C’était d’ailleurs pour cela qu’on était allé voir nos dossiers administratifs au rectorat : on savait que ce genre d’inspection débouchait souvent sur des procédures de ce type qui nous empêchent de nous défendre. On a l’impression, à Sud Education où beaucoup de militants sont visés par ce genre de procédure, que la suspension est une nouvelle stratégie utilisée par l’administration pour réprimer les mouvements sociaux.

Ce qui est particulier dans ma suspension, c’est que ma direction n’était même pas au courant que j’étais suspendu : ils me cherchaient dans les couloirs du lycée ! Quand j’ai alerté mes collègues, ça a crée un émoi énorme : ils se sont réunis à la pause de 10h pour voter la grève le jour même comme geste de soutien et pour faire pression sur le rectorat, à la fois pour demander l’annulation de ma suspension mais aussi pour en exiger les motifs.

C’est quoi la suite, pour toi ?

Actuellement, l’enjeu principal, c’est de savoir pourquoi j’ai été suspendu. Ils ont le droit de penser que je suis nuisible à la bonne marche du lycée mais s’ils en sont persuadés au point de me suspendre pendant 4 mois, il faut qu’ils donnent des éléments précis et circonstanciés pour le justifier et pour que je puisse me défendre. Sinon, c’est juste du pouvoir discrétionnaire et c’est inacceptable - que ce soit sur les suspensions ou sur les mutations. Il faut mettre de la lumière sur ce genre de pratique pour qu’elles ne puissent plus se perpétrer.

 

Propos recueillis par Pablo Pillaud-Vivien