Un projet d’agrandissement d’une zone d’activité menace 86 hectares de terres fertiles dans le Vaucluse. En lutte contre la bétonisation, les opposants dénoncent les potentiels conflits d’intérêts du maire et les intimidations qu’ils subissent.

« C’est Byzance ! » Chaussures de randonnée aux pieds et sourire aux lèvres, Nicolas n’en revient pas de la qualité du sol qu’il arpente avec aisance, malgré les tranchées qui sillonnent la terre. Un terrain situé en bordure de Pertuis, commune de près de 20 000 habitants nichée au sud-est du Vaucluse, à une cinquantaine de kilomètres de Marseille. « Cette ancienne prairie n’a jamais reçu d’intrants et est particulièrement fertile », s’enthousiasme le jeune paysan. Au milieu des calcaires arides, la zone bénéficie notamment d’un avantage de taille : elle est parcourue de canaux du 19e siècle qui lui assurent une irrigation optimale. Alors que la parcelle n’a pas été entretenue depuis l’été, quelques pieds de tomates ont survécu au cagnard et les blettes se portent bien.

 

Pour combien de temps encore ? À Pertuis, un projet d’extension de la zone d’activité qui jouxte le site menace d’engloutir sous le béton 86 hectares de terres fertiles, pour la plupart cultivées. Une aberration écologique face à laquelle de nombreux militants se sont dressés jusqu’à investir la zone en novembre 2021, occupant quatre maisons vacantes, construisant des cabanes et entretenant un verger sur ce qu’ils ont nommé la ZAP, pour « zone à patates ». Pas du goût de la préfecture du Vaucluse, qui a ordonné son expulsion : le 28 juin, les lieux ont été évacués sans ménagement et les maisons murées, avant d’être démolies [1]. Propriétés de l’établissement public foncier (EPF) de Provence-Alpes-Côte d’Azur, les terres ont été acquises grâce à la création d’une réserve foncière sur la zone, déclarée d’utilité publique en juin 2020. Depuis, à Pertuis, l’EPF est autorisé à acquérir, à l’amiable ou par voie d’expropriation, les terrains d’une centaine de propriétaires. À la manœuvre du projet, Roger Pellenc, maire divers droite de Pertuis et influent industriel local, que les opposants soupçonnent de vouloir « faire passer ses intérêts particuliers pour de l’intérêt général ».

Le projet d’un « seigneur local »

À l’époque, pour justifier la déclaration d’utilité publique, la préfecture du Vaucluse avait sorti la carte de la présence, à une trentaine de kilomètres de Pertuis, du chantier du réacteur thermonucléaire expérimental Iter. Raison invoquée : le besoin d’espace pour les sous-traitants de ce projet pharaonique. Mais Sébastien Barles, adjoint Europe Écologie-Les Verts à la mairie de Marseille et conseiller métropolitain, opposé au projet, est catégorique : « C’est un alibi, du flan. Iter a du plomb dans l’aile et lorsqu’on interroge les entreprises soi-disant concernées, certaines ne connaissent même pas l’existence du projet. » Contacté, le service communication d’Iter n’a pas donné suite à nos sollicitations.