Par Anne-Sophie Simpere

Face à la répression dans les manifestations contre la réforme des retraites ou à Sainte-Soline, Anne-Sophie Simpere, spécialiste des violences policières, pointe plusieurs problèmes structurels du maintien de l’ordre à la française.

Il y a une spécificité française du maintien de l’ordre, notamment quand on regarde le nombre de blessés et la gravité des blessures. Lors de ces dernières années, on a des dizaines de personnes mutilées pendant des manifestations, les unes avec des mains arrachées, d’autres éborgnées. On ne retrouve pas ça dans des pays européens comparables.

Alors que des manifestations violentes, avec notamment des violences de la part des participants, il y en a dans tous les pays. Le Royaume-Uni a connu des situations quasi émeutières, et aux Pays-Bas les manifestations pour s’opposer aux restrictions sanitaires pendant le confinement ont été hyper violentes.

Toutes les polices d’Europe font face à des mouvements qui peuvent être violents : black blocs, qui d’ailleurs sont nés en Allemagne, divers mouvements d’extrême droite ou groupes de hooligans. Et pourtant, la France se distingue par des bilans extrêmement lourds, à la fois en termes de manifestants blessés, mais aussi avec de nombreux policiers et gendarmes également touchés dans les opérations de maintien de l’ordre.

Le manifestant est vu comme un ennemi à contrôler

La doctrine du maintien de l’ordre à la française est principalement répressive, et on dirait que le manifestant est vu comme un ennemi à contrôler. Dans le schéma national du maintien de l’ordre, il est écrit qu’il faut respecter le droit de manifester. Reste que l’approche est avant tout répressive et recherche comment éviter tout désordre à l’ordre public via l’usage de la force. D’autres polices européennes ont réfléchi à différents types de doctrines, notamment des stratégies pour faciliter le dialogue, la communication et la désescalade avec les manifestants.

Ces réflexions ne sont pas totalement absentes en France. Je pense notamment à une note du centre de recherche de l’école des officiers de la Gendarmerie de 2016, qui parlait des black blocs, de la nécessité de communiquer, des précautions à prendre pour ne pas provoquer une escalade de violence. Donc, au niveau de certains commandements, on a conscience qu’un autre maintien de l’ordre est possible. Le fait que ce ne soit pas mis en place est un choix politique.

« Toutes les polices d’Europe font face à des mouvements violents. Et pourtant, la France se distingue par des bilans extrêmement lourds en termes de manifestants blessés »

Entre 2010 et 2013, un programme européen nommé « Godiac » sur les bonnes pratiques de maintien de l’ordre a réuni plusieurs polices d’Europe dans le but d’avoir un échange de pratiques sur le maintien de l’ordre via la désescalade, notamment face à des mouvements auxquels les polices n’étaient pas habituées : des manifestations plus horizontales, avec plus de mouvements de blocage ou d’occupation. La France n’a pas participé pas à cette réflexion.

Et la désescalade, ce n’est pas nouveau. Le fait de privilégier le dialogue et la coopération avec les manifestants est imposé depuis 1985 par la Cour constitutionnelle allemande. Ça ne veut pas dire que tout est toujours bien fait dans les autres pays, mais en tout cas, on constate cette volonté de ne pas envenimer les choses.

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