Avocat au barreau de Paris

« Je réprime le terme de violences policières. » Terrible lapsus de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, sur l’antenne de France Inter le 17 avril. Car nier les violences policières, c’est nier ceux qui en ont été victimes. C’est tenter d’effacer par les mots les conséquences de ses propres gestes. C’est se retrancher de sa propre humanité en voilant celle de l’autre. Ce que nous vivons en France aujourd’hui, c’est l’expression absolue d’un pouvoir pathologique. 

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Quel que soit l’endroit où se porte notre regard, la violence s’impose à nous. Le sang jaillit et ruisselle au-delà de nos écrans. Omniprésence de la percussion. Persistance rétinienne de la matraque qui s’abat sur les corps.

Cette violence-là, n’est pas celle de la fiction. Notre esprit sait qu’elle est réelle, qu’elle meurtrit un corps et qu’elle est définitive. Le moindre bruit la ressuscitera. Un fracas de tôle, un klaxon de voiture, un verre qui se brise, une fausse note et la violence s’imposera à la conscience. Toute violence, que nous la subissions ou que n’en soyons que témoins, devient traumatisme irrémédiable, douleur perpétuelle qui s’éveille des années après que la plaie a cicatrisé.

Je suis avocat et je défends des victimes de violence policières. Je vis avec ces victimes, leurs familles, leurs proches. Les images qui m’habitent sont celles de corps recouverts d’un drap blanc, de machines qui exhibent la fréquence du cœur, de bip stridents qui maintiennent l’apparence d’une vie jusqu’au prononcé du décès, de visages qui entendent la sentence médicale d’un œil qui ne verra plus, de mains abandonnées sur un trottoir, de radios de corps fracturés. Les mots qui s’infiltrent dans mon oreille et s’incrustent à perpétuité sont ceux d’humanités abimées quelques fois détruites. Vivre avec la violence c’est être le réceptacle d’une douleur incommensurable, de cris déchirant l’absurdité même de nos existences.

Penser que l’habitude émousse les émotions est une légende. Les violences s’accumulent en strates, façonnent l’être en géologie de douleurs. Parfois l’envie me prend de fuir loin d’elles, de protéger ce qu’il reste à protéger, là où la violence ne s’exprime plus. Comment font-ils, ceux qui les causent ou les ordonnent, pour ne pas éprouver de culpabilité ? Comment font-ils pour tenir la ligne, prononcer froidement ces mots qui dénient jusqu’à leur existence même, déniant aux victimes leur souffrance, déniant même qu’elles existent ?

Nier les violences policières, c’est nier ceux qui en ont été victimes. C’est tenter d’effacer par les mots les conséquences de ses propres gestes. C’est se retrancher de sa propre humanité en voilant celle de l’autre. Si l’histoire devait avoir un sens, ce serait celui de déposer en nous les souffles de ceux qui ont péri ou souffert par la force ou par les armes. L’histoire ne devrait pas seulement être enseignée, mais imprimée dans les corps de ceux qui seront amenés à décider de l’usage de la violence, pour qu’avant d’ordonner son emploi, avant de lever le bras, avant d’appuyer sur une gâchette, avant de dégoupiller, de menotter, de plaquer, d’étrangler, de contraindre, avant que tout geste ne se commette, le corps sache ce que l’autre éprouvera.

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