Le modèle coopératif peut répondre aux besoins de participation des salarié.es et aux aspirations démocratiques au sein des entreprises. Pourtant, il reste trop délaissé, regrette la sociologue Anne-Catherine Wagner. Entretien.

basta!  : Les entreprises en coopératives, souvent perçues comme une alternative concrète à l’ordre économique dominant avec une meilleure redistribution des richesses produites vers les salariés, connaissent un nouvel essor depuis le début des années 2010. Comment l’expliquez-vous ?

Anne-Catherine Wagner : Le modèle coopératif est très ancien ; les premières coopératives ouvrières sont apparues au 19e siècle. Ensuite, elles connaissent des phases de flux et de reflux. Après Mai 68, il y a une vague de reprises d’entreprises par des sociétés coopératives et participatives (scop).

Ces dernières années, on assiste à un nouvel essor. On compte aujourd’hui environ 4000 entreprises coopératives en France contre 500 en 1970. Il y a un nouvel intérêt des jeunes pour cette forme d’entreprise, qui a plus de sens pour eux que la forme capitaliste. Et c’est plutôt le domaine des services qui est concerné par ce dernier essor : formation, insertion, commerces bio, etc.

Le rôle de l’État est très important pour que les Scop puissent émerger et durer dans le temps. Les tribunaux de commerce ont souvent leur mot à dire lorsqu’il y a des reprises, et l’intervention du préfet peut être déterminante. Des ouvrages sur Lip [une manufacture de montres, reprise en autogestion par ses salariés en 1973, ndlr] expliquent à quel point c’était une volonté de l’État de laisser couler la coopérative moins de deux ans après la reprise par les salariés. Les périodes politiques sont donc plus ou moins favorables.

En ce moment, la période n’est pas favorable du tout. Je pense notamment à la coopérative Scopelec, l’une des plus grosses de France avec plus de 2000 salariés, qui a été placée en redressement judiciaire. Son plus gros client était Orange, dont l’État est un actionnaire important. Il aurait donc très bien pu intervenir, il y a eu une grosse mobilisation en ce sens. Mais l’État a laissé Orange choisir un autre fournisseur et n’a pas soutenu le projet de reprise en Scop par les salariés [1].

Quoi qu’il en soit, le modèle coopératif reste minoritaire. 80 000 salarié·es travaillent dans les coopératives, sur un total de plus de 26 millions de salarié·es dans le pays. C’est un modèle qui demeure peu connu. Pourtant, il pourrait répondre à une recherche de sens au travail qui s’accorde avec le fait que, aujourd’hui, les salariés sont de plus en plus dépossédés des décisions importantes qui sont prises dans leurs entreprises.

Quels sont les modes d’apprentissage de la coopération ? Comment apprend-on à prendre des décisions en matière de salaires, de promotions ou d’orientation économique ?

Il y a plusieurs formations, dont une est même proposée à Dauphine, université parisienne spécialisée dans la finance et l’économie. Les unions régionales des scop proposent aussi des formations. Mais de nombreux coopérateurs ne sont pas préparés à ce rôle, surtout parmi ceux qui reprennent l’activité d’une entreprise capitaliste. Ils sont ouvriers ou secrétaires et se retrouvent dirigeants d’entreprise. Ce n’est pas leur métier à la base, cela demande donc un gros engagement, avec beaucoup de surtravail et de dévouement.

Les fondateurs peuvent être amenés à faire beaucoup de sacrifices, y compris financiers. Certains hypothèquent leurs maisons, d’autres investissent toutes leurs indemnités chômage. Il existe aussi des obstacles extérieurs, avec des tribunaux de commerce qui refusent les passages en scop, ou des banques qui ne leur prêtent pas d’argent pour investir.