Par Nils Hollenstein

Les restrictions d’eau pendant la sécheresse ne s’appliquent pas avec la même fermeté à tous les acteurs. Les industries du golf, des semi-conducteurs, de l’agroalimentaire ou des eaux minérales bénéficient de dérogations, souvent sans contreparties.

Une vingtaine de départements sont déjà touchés, partiellement ou totalement, par une forte sécheresse et des interdictions de prélèvement d’eau, depuis mi-juillet. Considérées en « crise », ces zones sont colorées en rouge sur la carte du site de suivi de la sécheresse en France, Propluvia. Les autres zones sont en orange (alerte renforcée), jaune (alerte) ou grise (vigilance). La carte change quotidiennement selon le niveau de restriction en vigueur et selon les arrêtés préfectoraux pris pour restreindre les prélèvements en eau.

La sécheresse de l’année dernière est encore dans tous les esprits. Un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) publié en mars 2023 décrit cette sécheresse comme « la plus sévère connue depuis au moins un demi-siècle ». Elle ne s’est en fait jamais vraiment arrêtée : commencée au printemps 2022, elle s’est poursuivie par une sécheresse hivernale marquée, avec une quarantaine de départements soumis à des mesures de restriction d’eau.

Ces mesures de restriction d’eau sont-elles appliquées de manière équitable ? Tous les acteurs économiques sont-ils concernés ? Certains loisirs et plusieurs grandes entreprises en sont par exemple exemptés, sans qu’il n’y ait de débats sur le caractère essentiel – ou non – de ces activités.

Le retour de la controverse sur les golfs

Malgré les polémiques de l’année dernière, les golfs échappent encore aux restrictions d’eau. Cela provoque la colère de collectifs écologistes. Le 24 juin, des activistes d’Alternatiba et d’ANV-Cop21 ont investi le le golf de Bandol, dans le Var, pour y tracer à la pioche le message suivant : « L’eau est un bien commun ». Visible depuis le ciel, celui-ci s’accompagnait d’une banderole « La lutte des classes commence ici ». Pour Emma Tosini, porte-parole du mouvement, il s’agit de poser la question de l’accès inégal à l’eau en période de sécheresse. « Pour nous, le golf fait partie des activités non essentielles. C’est un loisir seulement réservé à certaines classes de la population, tranche-t-elle. On ne demande pas la fermeture des golfs, mais leur adaptation au changement climatique. »

Six personnes sont rassemblées autour de légumes posés sur une bâche recouverte de terre. Deux personnes tiennent un drapeau du parcours de golf, où le potager est installé. Un message est inscrit sur une pancarte : "Leurs loisirs ou notre avenir : il faut choisir !"
L’heure du choix
Lors d’une action du collectif Ibiza au golf de Saint-Germain-en-Laye fin août 2022.
© Collectif Ibiza

L’image de greens verdoyants alors que les paysannes et paysans faisaient face à des mesures beaucoup plus drastiques durant l’été 2022 a pu interroger (lire notre article Une « lutte des classes climatique » : malgré la sécheresse et les canicules, les golfs de luxe prospèrent). « Les efforts demandés aux agriculteurs irrigants leur ont parfois semblé disproportionnés par rapport à ceux demandés aux gérants des golfs, dont l’activité reste du domaine du loisir », pointait un rapport de l’IGEDD. Pourtant, rien n’a bougé depuis un an.

Dérogations peu compréhensibles

Les orientations données par le ministère de la Transition écologique aux préfectures prévoient des dérogations aux restrictions d’eau pour l’arrosage des golfs, même au niveau de gravité de sécheresse le plus élevé [1].

Les golfs doivent certes réduire le volume d’eau utilisé, mais peuvent irriguer leurs greens, même en situation de « crise ». La surveillance des quantités d’eau utilisées se base majoritairement sur les déclarations des golfs eux-mêmes. Il n’y a donc pas de contrôles ni de sanctions. Au même niveau de gravité de sécheresse, l’arrosage des cultures agricoles est en revanche prohibé, même avec des dispositifs économes en eau comme le goutte-à-goutte ou la micro-aspersion.

La « discipline fait l’objet d’attaques aussi injustes qu’infondées » estime la Fédération française de golf dans un courrier de réponse au député de La France insoumise François Ruffin. La fédération met en avant des « efforts importants » pour réduire la consommation d’eau de ses 740 structures.

Elle réfute aussi l’utilisation du terme « dérogation », renvoyant vers une disposition prévue dans l’accord-cadre « golf et environnement 2019-2024 » signé avec les ministères de la Transition écologique, de l’Agriculture et des Sports [2]« Lorsque la pénurie d’eau est telle que la population ou le bétail n’a plus accès à l’eau, il va de soi que les golfs ne sollicitent aucune dérogation pour arroser », affirme encore la Fédération française de golf.

Cliquez sur le lien suivant pour lire la suite.