Le procès de Bernard Squarcini s’ouvre ce mercredi 13 novembre au tribunal judiciaire de Paris. L’ex-directeur du renseignement intérieur est accusé (notamment) d’avoir infiltré et espionné notre journal pour le compte de la plus grande fortune de France. Ou quand les moyens de l’État français sont détournés par un milliardaire, et contre la presse… On vous refait l’histoire qui a abouti à un procès hors-norme, et crucial.
« Ces petites organisations d’extrême gauche, qu’il faut, à défaut d’abattre, critiquer par tous les moyens. » Le 14 avril 2016, lors de l’assemblée générale de LVMH, Bernard Arnault tombe, un peu, le masque. Il faut dire que son groupe, LVMH, premier mondial dans le secteur du luxe, a déjà déboursé 400 000 euros, utilisé des taupes, procédé à des écoutes et des fouilles, embauché Bernard Squarcini, ancien directeur central du renseignement intérieur. Sa cible ? Fakir, et son rédacteur en chef de l’époque, François Ruffin. L’objectif ? Faire taire notre journal, par tous les moyens. Et pour ça, quoi de mieux, carrément, que les moyens de l’État ?
Qu’on remonte au début, aux grands débuts de l’histoire. A l’aube des années 80, Bernard Arnault hérite de la société immobilière familiale, à seulement 27 ans. En 1984, il obtient de Laurent Fabius et François Mitterrand un milliard de francs d’aides publiques, c’est cadeau, pour reprendre le groupe Boussac. Groupe Boussac dont fait partie Dior – son véritable objectif. Il va alors construire sa fortune sur un mensonge (« préserver les emplois », qu’il détruira en fait, tout en dépeçant le groupe), et des victimes : les salariés licenciés, par milliers. Il n’investit que 40 millions de francs et supprime la moitié des postes (8000) en trois ans. Démantèle les actifs textiles et licencie à tour de bras pour ne garder que la marque Dior, dont la valeur grimpe du coup en flèche. Cette plus-value, aux frais du contribuable, lui permettra de prendre la tête de LVMH.
Le squale de LVMH entre en action
Dès 2012, Fakir enquêtait sur ce « boucher du Nord ». Catherine Thierry, une ouvrière textile, nous met sur la piste en partageant son trésor : un petit classeur rouge où étaient répertoriés tous les actes de démantèlement de l’industrie textile de la vallée de la Nièvre. Le fruit de plusieurs années d’enquête de François sur les méthodes de Bernard Arnault est publié dans le journal, puis finalement porté à l’écran dans le film Merci Patron !.
C’est là que commence l’affaire, l’autre scandale, jugé aujourd’hui devant le tribunal : en 2013, Bernard Squarcini, ex-directeur central du renseignement intérieur de 2008 à 2012 (DCRI, ancêtre de la DGSI), entre en scène. « le squale » – c’est son surnom – est en effet embauché en 2013 par LVMH. Sa mission : espionner Fakir et François Ruffin. Et pour cela, il mobilise tout son réseau, utilise les moyens de l’État. Mesurons bien, ici, l’ampleur du scandale : la police et les services de renseignements français détournés au profit de l’homme le plus riche du pays. Les moyens de l’État utilisés contre un journaliste et l’équipe du canard, au profit d’un milliardaire. Avec des méthodes dignes d’un film mafieux… Deux taupes sont en effet chargées d’infiltrer Fakir pour le compte de LVMH. Elles rapportent les échanges de nos réunions, fouillent nos poubelles, transmettent nos mails, nous prennent en photo pour établir un trombinoscope.
Payer pour échapper au procès
Pourtant, Bernard Arnault et LVMH seront les grands absents du procès qui s’ouvre aujourd’hui contre Squarcini, et uniquement lui, pour espionnage. Et pour cause, LVMH a payé la justice pour échapper au procès : dix millions d’euros. Une goutte d’eau, un pourboire, pour le groupe. Le tout dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), procédure totalement détournée de son esprit initial. Vous avez-dit justice de classe ? Non seulement les moyens de l’État, normalement au service de l’intérêt général, ont été détournés à des fins (très) particulières. Mais en plus, une fois le scandale révélé, les puissants s’arrangent pour éviter de se retrouver dans le box des accusés…
Le procès qui s’ouvre aujourd’hui est donc crucial à plus d’un titre pour notre démocratie. Est-ce qu’on laisse la presse se faire piétiner par l’homme le plus riche du pays ? Est-ce qu’on le laisse détourner la police et le renseignement français pour faire taire ses opposants ? Est-ce qu’on le laisse s’acheter une décision de justice ?
Il est un fait notable, tout de même, dans cette histoire : Bernard Arnault n’a toujours pas digéré l’affront de Merci Patron ! C’est ce qu’ont révélé nos confrères du Nouvel Obsle 30 octobre dernier. Bernard Arnault aurait fait campagne cet été, dans l’ombre, contre la réélection de François Ruffin dans la Somme, puis contre la nomination de Lucie Castets, la candidate du Nouveau front populaire (NFP), à Matignon. Une pression exercée par l’homme le plus riche du pays directement sur… le président de la République. C’était au fort de Brégançon, au mois d’août. Autour de la table : Brigitte et Emmanuel Macron, Carla et Nicolas Sarkozy, Hélène et Bernard Arnault. C’est que le milliardaire ne goûte que très peu l’hypothèse d’une première ministre de gauche…
Il ne risque pas grand-chose, pourtant : le groupe Arnault est composé de holdings domiciliées pour 80%... en Belgique. Pourquoi la Belgique ? Parce que Bernard n’y paye que quinze millions d’euros d’impôt, sur trois milliards de dividendes en 2024. Et pour une fortune estimée à 162 milliards de dollars. Pourquoi payer l’impôt en France ?
Le procès qui s’ouvre aujourd’hui va durer jusqu’au 29 novembre. Bernard Arnault et LVMH, les deux grands absents, ceux vers qui se tournent pourtant tous les regards, sont cités à comparaître (Bernard Arnault est censé passer à la barre pour être entendu comme témoin le jeudi 28 novembre). Se montreront-ils à la barre, enfin ? Fakir vous fera vivre le procès de ce scandale d’État, entre Squarcini, LVMH, Bernard Arnault. Parce que, plus que jamais, on est bien décidés à continuer à démasquer ces invisibles d’en haut qui se pensent au-dessus des lois…